J’ai toujours eu beaucoup de mal à accepter les passages de l’Apôtre des Gentils exhortant les femmes à être soumises à leurs maris.
Ca m’a toujours gêné parce que ça m’a toujours semblé extrêmement misogyne. Et toutes les contorsions exégétiques pour transformer cette soumission en son opposé, une décision libre de la part de la femme, me mettaient encore plus mal à l’aise car j’avais l’impression d’avoir à faire à une explication non seulement hypocrite mais surtout pitoyable.
La plupart des homélies sur le sujet étaient toutes structurées en deux parties : première partie la dénégation (« il ne s’agit évidemment pas de machisme »), deuxième partie le relativisme culturel (« il faut remettre les paroles de saint Paul dans le contexte de son époque»). D’où la question que je me posais inévitablement : «S’il ne s’agit pas de machisme alors pourquoi faut-il replacer les propos de saint Paul dans leur contexte ? S’il n’y avait pas de problème que fallait-il relativiser ? ».
J’en concluais que si les prédicateurs que j’entendais n’utilisaient pas des arguments meilleurs et plus convaincantes c’est qu’ils n’en avaient vraisemblablement pas en magasin ce qui accroissait mon malaise et ma suspicion ainsi que ma méfiance envers ces prêtres..
Ce qui me choquait le plus c’est que j’avais l’impression qu’on demandait aux femmes davantage qu’aux hommes.
Aux hommes Paul demandait « seulement » d’aimer leurs femmes ce qui, après tout n’est que le minimum syndical quand on décide de se marier. N’est-ce pas l’objet même du mariage ? Cette recommandation m’avait toujours semblé ne pas en être une. Elle me paraissait tellement implicite qu’elle ne pouvait pas être donnée comme une recommandation qui viendrait en plus.
Aux femmes, en revanche, il demandait non seulement d’aimer leurs maris – au moins implicitement puisqu’il parlait du mariage – mais en plus et surtout de leur être spontanément soumises. En d’autre terme de s’exposer à leurs décisions et à leurs comportements arbitraires sans garantie et sans contrepartie. Inacceptable à mes yeux.
Inacceptable jusqu’au jour, récent, où j’ai compris que Paul demandait à l’homme et à la femme de se convertir à l’amour en consentant chacun à faire l’effort qui lui coûtait le plus : rentrer en elle-même pour la femme, sortir de lui-même pour l’homme.
Le plus difficile pour une femme : rentrer en elle-même
Depuis que je suis petit j’ai toujours vu les femmes mariées être surchargées et sur-occupées. Certes je comprenais qu’il n’était pas évident de concilier vie de famille et vie professionnelle mais cela ne changeait rien à ma perplexité.
En effet leurs maris aussi étaient contraints de concilier les deux et me semblaient s’en tirer mieux. Certes ils en faisaient moins et sans doute la répartition des tâches était-elle susceptible d’être rééquilibrée mais cela n’expliquait pas pourquoi c’était presque toujours les femmes qui en faisaient plus. Une fois c’est un hasard, deux fois un curieux hasard mais à partir de trois fois ce n’est plus un hasard.
J’avais l’impression d’être en permanence dans la publicité pour les piles Duracell où des petits lapins tapaient sur des tambours sans s’arrêter jusqu’à épuisement de leur réserve d’énergie, présentée comme particulièrement longue.
Sans compter que même les femmes qui ne vivaient pas en couple me semblaient fonctionner comme des lapins Duracell. C’est la tentation de Marthe, qui s’agite et qui récrimine, par opposition à Marie qui médite et qui accueille.
Devenu adulte j’ai commencé à comprendre que, dans le cadre des relations humaines en général, les femmes étaient plus disposées que les hommes à s’investir personnellement et émotionnellement pour que les choses marchent. J’ai compris qu’elles y étaient plus disposées parce qu’elles en attendaient beaucoup et souvent bien davantage que les hommes. Dans le cadre d’une relation de couple, de la gestion concrète d’un foyer et de l’éducation des enfants les femmes ont plus d’attentes et plus d’idées sur ce qu’il faudrait faire et surtout ne pas faire.
Mais l’expérience montre aussi que cette volonté de bien faire se confond souvent avec un désir viscéral de faire les choses à sa façon qui aboutit régulièrement à faire les choses à la place de l’autre pour s’assurer qu’elles soient bien faites (c’est-à-dire faites à sa façon) et donc d’imposer ses propres règles ou au moins d’être la seule à faire les choses (monopole).
Dans le couple l’homme choisit moins l’affrontement que la stratégie d’évitement pour préserver ce qu’il considère comme sa liberté inaliénable. Quitte à déserter définitivement le foyer dans les cas extrêmes, ce qui est le paroxysme de la stratégie d’évitement. La femme a un tel besoin de se donner qu’elle a parfois du mal à se retirer pour laisser l’autre exister.
C’est en faisant ce constat que j’ai mieux compris ce que recommandait saint Paul à la femme : en lui disant : « Sois soumise », il lui dit : « Lâche prise ».
La première formulation sent mauvais l’encaustique des siècles passées tandis que la deuxième fleure bon la psychologie de couple contemporaine. Mais les deux formules sont équivalentes.
Toutes les deux signifient « ne t’épuise pas et ne l’épuise pas à vouloir tout contrôler tout le temps. Cesse de le traiter comme un enfant et traite le comme ton mari. Rends-lui sa liberté d’initiative. Pour que toi tu puisses cesser de vivre à l’extérieur de toi-même et que lui puisse déployer sa liberté au service de votre couple et de votre foyer. Rentre en toi-même, tu y seras bien. Tu seras enfin chez toi. Tu seras vraiment toi et lui sera enfin libre de t’aimer à sa façon c’est-à-dire véritablement ».
Ce qui fait de cette « soumission » un lâcher prise et non une aliénation c’est qu’elle est ordonnée à l’amour et consentie par amour c’est-à-dire librement par la femme. Si l’homme en profite pour se comporter en despote, la manipuler ou l’humilier alors il n’y a plus aucune raison de jouer le jeu. Dans la vie de couple comme ailleurs l’adjectif intolérable a un sens. Cette « soumission » n’a de sens si elle sert à rendre l’homme capable d’aimer à son tour et à sa manière.
Le plus difficile pour un homme : sortir de lui-même
Car pour l’homme le plus difficile est bien de sortir de son égoïsme pour se mettre au service du bien d’autrui. L’ égoïsme de l’homme est légendaire. Lui-même ne s’en défend pas vraiment. Ou alors tellement mollement que ça revient au même.
Son égoïsme se manifeste d’abord par la paresse. En termes relationnels cela se traduit souvent par le refus de s’engager. C’est bien connu : une fois qu’il a obtenu « ce qu’il veut », Monsieur est souvent moins empressé et ne s’investit plus autant dans la relation. La première force de l’homme c’est sa force d’inertie.
Une autre manifestation de son égoïsme profond est sa capacité à donner libre cours à ses pulsions au détriment d’autrui (pulsions violentes, pulsions sexuelles). Les violences conjugales et les viols sont majoritairement l’œuvre d’hommes. L’industrie de la pornographie ne prospère que grâce aux hommes. Les guerres ne durent que parce que les hommes aiment se battre.
Ultime manifestation de l’égoïsme masculin : la volonté de dominer pour le seul plaisir de dominer et d’exercer le pouvoir simplement pour en jouir. Les conséquences pour autrui n’existent pas parce que le monde extérieur devient une variable d’ajustement.
Certes l’homme est capable de se donner pour réaliser de grandes choses mais sous certaines conditions. À condition d’y être poussé : derrière chaque grand homme, cherchez la femme. Ou bien à condition d’être attiré : certains hommes doivent leur carrière à leur première femme et leur deuxième femme à leur carrière. Ou encore à condition d’être exalté. L’homme est capable de sacrifier sa vie en échange de la reconnaissance de ses pairs (carrière, héroïsme) ou de la postérité (la gloire).
Mais il lui est beaucoup plus difficile d’accepter librement et délibérément les mille et une petites morts, de consentir à des sacrifices non reconnus, de supporter sans broncher et sans regrets les frustrations inévitables qui accompagnent la lente maturation d’un amour authentique. Il lui est plus facile de mourir pour la femme qu’il aime que de vivre avec elle.
Le plus difficile pour l’homme c’est de s’oublier. C’est de sortir de lui-même pour aimer vraiment : sans espoir de retour sur investissement. Qui n’a pas entendu cette phrase d’un égoïsme tellement massif et naïf à la fois : « Moi les enfants ne commencent à m’intéresser qu’à partir du moment où ils peuvent parler » ?
Le plus difficile pour lui c’est de s’oublier pour aimer. Il est capable de s’investir et de donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse mais à condition que ça l’exalte (l’armée, l’équipe, la guerre).
A contrario on comprend pourquoi saint Joseph nous est donné en exemple. Par amour il renonce à toutes les aspirations masculines légitimes (une vie sexuelle normale, une descendance nombreuse et assurée, lune réputation intacte, l’estime de ses pairs) pour accepter une vie ni exaltante ni exaltée dans une famille qui est l’exact opposé d’un modèle familial : un enfant unique conçu hors-mariage élevé par un père adoptif. Et pourtant c’est le modèle du mari et du père de famille.
Non seulement ce que saint Paul demande à l’homme est ce qui lui est le plus difficile mais il lui donne en plus un modèle qui est hors d’atteinte : aimer sa femme comme le Christ aime son Église.
Pourquoi comme le Christ ? Parce qu’en se faisant homme Dieu a montré aux hommes comment aimer. Au lieu de faire usage de sa toute-puissance pour vaincre le mal et la souffrance, Il a manifesté sa toute-puissance dans l’ordre de l’amour et du don au point de souffrir et de mourir pour nous sans attendre notre reconnaissance, sans retour sur investissement, gratuitement, de manière inconditionnelle et absolue.
C’est en prenant conscience de tout cela que je me suis réconcilié avec saint Paul : en comprenant qu’il ne s’agissait pas d’une sentence rendue par un juge des affaires familiales mais d’une prescription médicale.
Et comme les prescriptions des médecins sont souvent illisibles il m’a fallu plusieurs décennies pour parvenir à déchiffrer l’écriture du docteur saint Paul et découvrir le contenu de son ordonnance pour le couple.
En fait il avait rédigé deux prescriptions distinctes et complémentaires : « lâcher prise » pour la femme et « oubli de soi pour l’homme ».
Depuis le jour où j’ai compris ça, ça va beaucoup mieux entre saint Paul et moi !
Par Louis Charles dans Aleteia du 15 février 2016